Un mot compliqué, non expliqué, suffit parfois à détourner le lecteur d’un article ou le téléspectateur d’un documentaire. La chasse au jargon est ouverte.
« Mais enfin, l’anoxie, tout le monde sait ce que c’est ! » m’assurait un jour une biologiste cherchant à vulgariser son sujet. On pourrait se moquer, mais elle est représentative de chacun d’entre nous : nous sommes tous parfois englués dans notre jargon, ce langage spécifique à un domaine, accessible aux seuls initiés.
Précis et concis
Le jargon est très utile : précis et concis, il sert à communiquer efficacement entre professionnels. S’en passer est impossible : cela impliquerait de réexpliquer à chaque fois des notions connus de tous les collègues.
Cependant, lorsque des professionnels s’adressent au grand public, il faut tout à coup éliminer ce jargon, qui rend leurs explications incompréhensibles et rebutantes. Mais c’est particulièrement difficile, puisqu’il s’agit du vocabulaire que l’on emploie quotidiennement !
Différents jargons
Il existe plusieurs types de jargons. Le plus simple à repérer est celui constitué des mots complexes comme anoxie, phylum, quanta, holomorphe… (je vous laisse compléter avec le vocabulaire de votre propre discipline). Mais ce n’est pas le seul
Un jargon bien plus sournois est celui des mots « polysémiques », qui ont plusieurs sens. Ici, ils ont un sens différent en science et dans le langage courant. Le mot « sensibilité », par exemple, lorsqu’il s’applique à un appareil, désigne la plus petite variation de mesure qu’il peut déceler. Un appareil est d’autant plus sensible qu’il mesurera des quantités infimes. Mais dans le langage courant, la sensibilité réfère aux émotions, à la capacité de ressentir la joie, la tristesse, la beauté…
C’est quoi, un modèle ?
Mon mot de jargon préféré, c’est « modèle ». Un mot si utilisé dans tous les laboratoires de recherche, mais en même temps si passe-partout, qu’on ne se rend pas compte qu’il fait allusion à une réalité scientifique très complexe. Dans l’esprit du grand public, le modèle est quelque chose ou quelqu’un qui inspire, qu’on tente de copier : « cette personne est un modèle pour moi ». Cela peut même évoquer le « top model » !
En sciences, le modèle découle du fait qu’on ne peut pas comprendre un système dans le détail, et qu’il faut donc le simplifier, puis vérifier après-coup que la simplification est justifiée. C’est donc une notion ardue, et très éloignée de ce que ce mot évoque au public. Pire : selon les sciences, le mot « modèle » ne signifie pas la même chose. En biologie, un « modèle animal » est par exemple une souris sur laquelle on peut tenter de comprendre le processus d’une maladie, et tester des médicaments. Décidément, il est indispensable de définir ce satané mot « modèle » !
Expliquer ou éviter
Car face à du jargon, il y a deux options, et pas une de plus. Soit on décide que ce mot est important, et même indispensable pour comprendre le sujet. Dans ce cas, on l’utilise, mais on l’explique. Soit on considère que ce mot n’est pas si important, et on l’évite, souvent en utilisant des périphrases. Mais jamais on ne l’utilise sans l’expliquer, en se contentant de le mettre entre guillemets : c’est particulièrement frustrant pour le lecteur.
Dernier type de jargon, qui est lui à bannir partout : le jargon « institutionnel », ou plus simplement la langue de bois. Vous savez, ces phrases longues, alambiquées, que l’on retrouve dans les discours officiels ou les rapports annuels. Elles contiennent tous les mots à la mode comme disruptif, innovant, rupture, agile… Mais on a beau les lire et les relire, elles ne contiennent pas ou peu d’information, et servent juste de faire-valoir à l’institution. Personne ne les lit, mais tout le monde continue à les écrire.
Alors restons simples !
Cécile Michaut