Les exigences des journalistes envers les chercheurs peuvent sembler démesurées, mais elles sont souvent dues aux contraintes énormes auxquelles cette profession doit faire face.
« Il voulait absolument une réponse dans les deux heures », « Elle n’a pas voulu me faire relire l’article », « Ils sont restés toute une après-midi au laboratoire et n’ont retenu que vingt secondes d’interview »… Il y a parfois beaucoup d’incompréhension entre les chercheurs et les journalistes. Elles proviennent surtout de la méconnaissance du mode de fonctionnement de chaque profession, de leurs buts et contraintes très différents.
Une règle : l’actualité
La première contrainte des journalistes, très forte, surtout en presse écrite, c’est l’actualité. Par définition, un journal parle de ce qui se passe en ce moment, pas il y a six mois.
L’actu, pour un mensuel, c’est ce qui s’est passé le mois d’avant. Pour un hebdo, la semaine d’avant, et pour un quotidien, c’est ce qui s’est passé la veille, ou ce qui va arriver dans la journée. Idem pour un journal télévisé. La radio est souvent le média le plus réactif. Ainsi, lors des prix Nobel, dont l’annonce arrive vers 11h30, les journalistes scientifiques de radio doivent préparer leur intervention pour le journal radio du 13h. Cela implique d’avoir compris ce quoi il s’agit, donc interviewé un scientifique. On comprend que l’urgence n’est pas feinte !
Plus de tâches, moins de journalistes
Auparavant, les mensuels, et dans une moindre mesure les quotidiens, étaient épargnés par cette urgence. Mais aujourd’hui, chaque journal possède son site web, qui doit également être particulièrement réactif. Les journaux télévisés doivent eux aussi réagir vite, avec la contrainte supplémentaire qu’ils ont besoin d’images. Pas d’image, pas de sujet au JT, la règle est évidente et drastique.
A cette obligation de l’actu, qui a toujours existé, s’ajoute une contrainte plus nouvelle : les journalistes sont aujourd’hui moins nombreux dans les rédactions, pour des tâches toujours plus nombreuses. La plupart des journaux ne sont pas en grande forme économique (nous avons largement perdu l’habitude d’acheter l’information, la considérant comme gratuite). Ils réduisent donc leur personnel, notamment le nombre de journalistes.
Formats courts
Ceux-ci ont pourtant davantage de tâches à réaliser : outre leurs papiers habituels pour le journal, il leur est demandé de fournir des articles pour le site web, et même dans certains cas d’être actifs sur les réseaux sociaux comme Twitter. Bref, les journalistes sont débordés (comme tout le monde, me direz-vous), et tout ce qui peut leur simplifier la tâche est bienvenu.
Autre contrainte : la place dans le journal, le temps en radio ou télévision. En presse écrite, il existe certes quelques journaux adeptes du très long format, comme la revue XXI, mais c’est un marché de niche. En général, les articles ne dépassent pas deux ou trois pages en format A4, beaucoup font même moins d’une page. Donc on ne pourra jamais détailler vos travaux autant que vous le souhaiteriez. Si les émissions d’une heure fréquentes en radio, les documentaires scientifiques à la télévision sont plus rares. Et au JT, la contrainte de temps est encore plus sévère : un reportage dure généralement moins de deux minutes !
A la recherche du public
Dernière contrainte, et non des moindres : plaire à son public. Un journal est une entreprise privée, qui doit au moins ne pas être déficitaire, donc séduire suffisamment de lecteurs prêts à l’acheter. Une chaîne de télévision ou de radio est soit privée, auquel cas elle doit attirer assez d’auditeurs et spectateurs pour que la publicité soit rentable, soit publique, mais soumise également à des impératifs d’audience.
Or, le grand public est généralement plus novice que les scientifiques n’imaginent. Il faut donc revenir aux fondamentaux, puis avancer pas à pas. C’est autant de place où de temps qu’on ne pourra pas consacrer aux aspects les plus avancés des recherches. Toucher le grand public est à ce prix.