Connaître son public est indispensable pour s’adresser efficacement à lui. Mais ce n’est pas si simple.
« Public chéri mon amour ! » s’exclamait l’humoriste Pierre Desproges. C’est aussi ce que pourrait dire le scientifique qui s’adresse au public via les médias. Car ce public, il faut l’aimer et le connaître pour parvenir à l’intéresser, et parfois le convaincre. On ne peut pas captiver un public flou, indifférencié. La Recherche ne vise pas le même lectorat que Ça m’intéresse, France Culture ne s’adresse pas aux mêmes auditeurs que Europe 1, et Arte ne touche pas les mêmes téléspectateurs que TF1.
Ne pas surestimer les connaissances
La première question qui se pose est : quel est son niveau scientifique ? Que connaît-il du sujet dont je veux parler ? Disons-le tout de suite : il est rare que le scientifique vulgarise trop. Le principal écueil est de viser trop haut, surtout en début d’explication.
Il ne faut pas sous-estimer l’intelligence du public : quand on lui explique bien la science, il comprend énormément de choses. Mais il ne faut pas non plus surestimer ses connaissances. Beaucoup de scientifiques pensent qu’il faut viser un niveau bac (voire bac scientifique), en se disant qu’aujourd’hui, 80 % d’une classe d’âge atteint ce niveau. Mais faut-il négliger les 20 % restants ? Et toutes les générations où le bac était rare ? Et les bacs littéraires, professionnels, technologiques, qui font peu de science générale après la classe de troisième ? Clairement, viser le bac, c’est se couper de la majorité de la population.
Média familial
C’est pourquoi, en presse, il est couramment admis que l’on vise un niveau d’étude de la classe de troisième, soit ce que savent les enfants de quatorze ans environ. Cela vous semble faible ? Plongez-vous dans les programmes, vous verrez qu’ils savent beaucoup de choses !
La télévision, quant à elle, est un média familial (contrairement à la presse écrite, sauf la presse spécialisée enfants et adolescents). Elle doit donc être comprise de l’ensemble des personnes de la famille (ou presque), et démarre au niveau de la classe de sixième (10 à 11 ans). Cela peut paraître peu ambitieux, mais c’est la condition pour accrocher le public.
Centres d’intérêt
S’il ne s’agissait que de déterminer le niveau du public, ce serait plutôt simple. Mais connaître son public est une tâche bien plus vaste. Pour un niveau donné, on ne s’adresse pas de la même manière à une classe d’adolescents et à une assemblée de retraités. Les exemples choisis, les mots utilisés, le ton, et même le débit de voix ne sont pas identiques. On s’adapte à son auditoire ou à ses lecteurs en essayant de se rapprocher au maximum de leurs centres d’intérêt, et même de leur style.
Cela se voit clairement avec le succès des vidéastes de sciences sur Youtube. Ceux-ci font généralement le choix de s’adresser à un public jeune en utilisant les références culturelles de cette génération, telles que les séries télé, les jeux vidéo… Ils optent aussi pour une diction rapide (bien plus qu’à la télévision, un média qui a largement délaissé les jeunes), l’omniprésence de l’humour, un montage dynamique… Et ça marche : certaines chaînes de science dépassent le million d’abonnés.
Se distraire, apprendre
Il faut aussi s’interroger sur les motivations de votre public : veut-il s’informer, se distraire, se cultiver, apprendre quelque chose d’utile pour sa vie professionnelle ? Est-il attentif à vos propos (dans une conférence, ou en lisant un journal), ou fait-il autre chose en même temps (c’est presque toujours le cas lorsqu’on écoute la radio) ? Quelles sont ses références culturelles, sur lesquelles vous pourrez vous appuyer : que regarde-t-il à la télévision, que lit-il, quels sont ses loisirs… ?
Finalement, connaître son public est complexe, et passionnant. Il ne faut pas forcément lui ressembler : pas besoin d’être jeune pour s’adresser aux jeunes. En revanche, il me paraît indispensable de connaître en profondeur le public que l’on vise. Si l’on souhaite s’adresser aux enfants, par exemple, il faut en côtoyer souvent, discuter avec eux de leurs goûts, les écouter parler entre eux pour découvrir leurs expressions… Bref, pour vulgariser, il faut aimer les gens.
Cécile Michaut