Le monde scientifique se croit souvent neutre, et imagine qu’il traite hommes et femmes de la même façon. C’est faux, comment le montrent de nombreuses études. Cet effet Matilda ne se combattra que si chacun et chacune s’interroge sur ses biais.
Lise Meitner, Rosalind Franklin, Marthe Gautier ou encore Jocelyne Bell. Ces grandes scientifiques ont en commun une grande injustice : leurs découvertes ont été attribuées à des hommes, voire sciemment volées par des hommes. Cela est si répandu que cela porte un nom : l’effet Matilda, ainsi nommé par l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter. Cela désigne la sous-estimation générale du rôle et des apports des femmes à la science.
La science est neutre, vraiment ?
On pourrait se dire que c’est du passé, qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de femmes en sciences, et elles ne sont plus discriminées. Certains croient ainsi que la science est neutre, que seules les compétences sont récompensées. Or, si discriminations et le mépris sont moins visibles, les biais sexiste et les discriminations demeurent très fortes. Les femmes restent sous-représentées parmi les scientifiques, moins promues, elles doivent en faire plus pour recevoir autant. Voici quelques exemples, documentés scientifiquement.
Dans les logiciels open-source, les contributions des informaticiennes ont tendance à être davantage intégrées (preuve qu’elles font du bon boulot)… sauf à partir du moment où on sait qu’elles sont des femmes. Là, bizarrement, ce sont les contributions masculines qui sont davantage prises en compte.
Moins embauchées, moins payées
La bonne vieille méthode du testing reste idéale pour prouver une discrimination. Aux Etats-Unis où les professeur·e·s ont plus de latitude pour leurs choix d’embauche et de salaire, un même CV reçoit moins de propositions de postes et une proposition de salaire plus bas si le prénom est féminin.
Accès aux équipements
Même lorsqu’elles sont recrutées, les femmes peinent à se faire leur place au sein d’un monde scientifique encore bien macho. Par exemple, les scientifiques sont en concurrence pour l’accès à certains grands équipements comme le télescope Hubble. Or, les équipes dirigées par les chercheuses avaient un taux de succès presque deux fois plus faible que celles dirigées par des chercheurs. On pourrait en déduire que les projets présentés par les hommes étaient plus intéressants en moyenne. Et bien non : une fois que les noms des porteurs et porteuses de projets ont été rendus anonymes, les taux de succès des chercheuses ont légèrement dépassé celui des hommes.
Etudes, maternité, violences
Des exemples comme cela, il en existe des centaines. Et ce n’est qu’une partie du problème. Les femmes sont également découragées à faire des sciences, dès l’enfance et au cours de leurs études, puisque la science est présentée comme un métier d’hommes. La maternité est souvent un frein important à la carrière des chercheuses, d’autant que les recrutements sont de plus en plus tardifs, au moment où le choix de fonder une famille se pose fortement. Enfin, les violences sexistes et sexuelles sont bien présentes dans le monde académique, et renforcées par l’aspect très hiérarchique du milieu et l’importance des recommandations et de la cooptation (s’opposer à son directeur de thèse, par exemple, c’est pratiquement faire une croix sur une carrière dans la recherche).
Une pandémie, et ça repart
Vous pensez vraiment que cela s’améliore ? Pourtant, la pandémie a représenté un sacré retour de bâton pour les femmes scientifiques. Simone de Beauvoir était visionnaire lorsqu’elle annonçait « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Cela s’est vu lors de cette crise sanitaire : les femmes scientifiques ont moins publié que leurs homologues hommes. Lorsque tout le monde, hommes et femmes, a été confiné, les rôles stéréotypés sont revenus. Toute professeure qu’elle soit, madame s’est davantage occupée des enfants que monsieur. Elle a davantage été dérangée. Elle avait moins souvent un bureau à elle. Egalité, dites-vous ? On en est loin.
Prendre conscience de ses biais
La grande erreur serait de chercher des solutions individuelles. Des conseils aux femmes pour être mieux valorisées, négocier avec leurs chefs, se défendre les violences sexistes, lutter contre les discriminations qu’elles subissent… Or, lorsqu’un problème est aussi général, la solution ne peut pas être individuelle. La seule solution, c’est que chacun et chacune prenne conscience de ses biais, pour pouvoir les combattre. Ce n’est qu’à ce prix que la science sera moins macho. Et le monde s’en portera mieux.
Photo : Ada Lovelace (1815-1852) est considérée aujourd’hui comme la personne ayant réalisé le premier programme informatique. Ses travaux sont d’abord tombés dans l’oubli avant d’être redécouverts avec l’avènement des ordinateurs.
Cécile Michaut